
Nous habitons la civilisation des prénoms. Dans des types de plus en plus nombreux de rapports sociaux, pas seulement d'ordre privé, le nom, qu'on appelait naguère de famille, s'efface au profit du seul prénom. À en croire Renaud Camus il s'agirait d'une mutation anthropologique essentielle, et d'une double régression : vers l'enfance des individus, pendant des siècles domaine réservé du prénom ; mais aussi vers l'enfance et même la pré-enfance des sociétés, en deçà des formes diverses de contrat social. Sans nom, pas de contrat possible, en effet : pas de responsabilité, car il est seul à même d'engager le sujet et de signer. À la verticalité des lignées, dont le nom est garant, se substitue l'horizontalité d'un da capo perpétuel, le prénom ne commençant jamais qu'avec celui qui le porte — manifestation d'un fantasme d'auto-engendrement continu, où l'on voit s'abîmer, au profit d'un présent absolutiste et sans horizon, le passé, l'histoire et le sentiment même du temps, la culture, les nations et les identités.
ASIN : B079ZT1V7K
Éditeur : Chez l'auteur (28 février 2018)
Langue : : Français
Broché : 186 pages
ISBN-13 : 979-1091681490
Poids de l'article : 263 g
Dimensions : 12.7 x 1.07 x 20.32 cm.
Meilleure évaluation de France
Le Lorgnon mélancolique
Précis de bathmologie
Commenté en France le 27 février 2015
Une fois de plus Renaud Camus, sans doute l'un des meilleurs analystes de notre civilisation finissante, met toutes les ressources de sa sagacité (et de son humour) pour décrire le règne du faux, "ce double inversé du réel" qu'il dénomme "faussel". Le règne ou la manie du prénom étant une entrée (certes à forte valeur symptomatique et symbolique) pour ce faire. Bien évidemment, la subtile déconstruction bathmologique de la "doxa" ambiante, via notamment une généalogie de "l'effondrement syntaxique", est inaudible par les temps qui courent ou fera l'objet d'une censure auto-protectrice : qui veut aujourd'hui entendre parler de la RÉALITÉ (décivilisation, déculturation, nocence généralisée, "soi-mêmisme")? Face aux forces démobilisatrices régnantes qui, au cri de "pasdamalgame", se livrent aux plus délétères et aberrantes confusions (car tout doit être remis à plat, dé-signifié et "amalgamé", c'est-à-dire non discriminé sous le régime du "gnangnisme" avant liquidation et remplacement), on s'étonne qu'il existe encore des esprits pour dire que le roi est nu. Ce lumineux précis de survie en zone en cours d'effondrement rend encore plus abyssal le mystère de la résignation à l'aveuglement, à la surdité... Ceux qui du sel de la vie veulent préserver ce qui leur tient encore à c½ur, se réuniront autour de ce livre. Livre dont l'auteur, rappelons-le, est l'objet d'un ostracisme pratiqué de longue date, avec une intensité variable, ce que Sollers parlant de Spinoza appelle un "herem doux" : "silencieux, insinuant, dissolvant, peut-être le plus efficace. Pas de martyre, de crucifixion, de proscription officielle : la censure-réflexe, le bas bruit, l'effacement des traces, rien de nouveau sous le soleil." ("L'Ecole du mystère").